N’est-il pas paradoxal d’exiger d’un doctorant la rédaction d’une thèse sans qu’on lui explique comment faire? Cette impréparation conduit à des blocages d’autant plus douloureux qu’ils sont frappés de tabou. Car si l’écrit occupe une place centrale en doctorat, on n’en parle pas.
L’angoisse de la page blanche : par où commencer?
Dans certaines disciplines, on s’entraîne à faire des dissertations, généralement en vue des concours – mais ces dissertations ne préparent pas à la rédaction d’une thèse (du reste, même quand on apprend à faire une dissert’, on n’apprend pas comment gérer l’angoisse de la page blanche.)
Il y a bien quelques formations doctorales où on apprend à formater un texte avec tel ou tel logiciel, ou des exposés sur la structure d’une thèse – mais le plus important, le comment commencer… ça, personne n’en parle.
Or, c’est le commencement qui est, généralement, le plus dur.
D’où l’impression de Gertrude de ne pas être à la hauteur.
Une ingénieure fait sa thèse
Après dix année d’exercice en tant que qu’ingénieure hydraulique, Gertrude a décidé de faire une thèse.
Elle qui n’a jamais eu de problèmes à rédiger des rapports conséquents se trouve soudain bloquée.
Pourtant, la trame de son texte est prête dans la tête… mais les critiques internes interrompent le flux de ses pensées – tu ne peux pas écrire ça ! Untel va se moquer de toi !
Elle qui est si efficace sous pression constate que l’approche de la date butoir l’angoisse et la paralyse au lieu de la stimuler.
Elle a certes tenté la discipline et un emploi du temps méticuleux, stratégie payante lors de ses études – mais rien n’y fait : Gertrude n’arrive pas à rédiger.
Ils vont voir que je ne suis pas à la hauteur
Gertrude souffre en silence.
Car on lui a appris à ne pas parler de ses problèmes – avouer qu’on a des problèmes, lui a-t-on dit, c’est faire aveu de faiblesse.
Surtout à l’université.
Surtout en thèse.
Il ne faut pas qu’on voie que je ne suis pas à la hauteur. Déjà que je pose plein de questions, parce que je ne vois pas le lien entre la théorie et mon terrain, alors si en plus je leur dis que je n’arrive pas à rédiger…
Elle vois les autres progresser. Elle, rien.
Ecrivez, écrivez, ça finira bien par sortir, lui dit son directeur.
Hélas, « ça » ne sort pas. Et le peu qui sort, elle l’efface, tellement elle trouve ça brouillon.
Et le temps passe.
Et plus ça va, plus Gertrude se persuade de son incompétence.
L’angoisse de la page blanche fait partie du doctorat
L’angoisse de la page blanche – ou de l’écran vide – dit un état, plus ou moins long, où l’on est incapable d’écrire – et parfois même de penser.
En thèse, ce phénomène est des plus normaux.
Comment en serait-il autrement ?
Outre le fait qu’on ne lui a pas expliqué comment faire, et que c’est la première fois qu’elle doit rédiger une thèse, Gertrude fait face à…
- Une énorme collection de données à traiter…
- Des fiches de lecture plus ou moins bien prises…
- Des transcriptions d’entretiens qui disent finalement moins que ce qu’elle espérait…
- Un chaos mental qu’elle ne se connaît pas…
- Et un manque total de méthodologie.
A quoi se mélangent des émotions très fortes …
- La peur d’échouer…
- La pression alentour…
- Le doute quant à la validité de ses conclusions…
- La peur d’être passée à côté d’une information importante…
- Son perfectionnisme…
- La peur de décevoir son entourage…
- La honte de ne pas y arriver …
Bref, Gertrude passe des nuits blanches à se demander comment elle va s’en sortir…
Penser à autre chose lui est impossible.
Mais rédiger sa thèse lui est tout aussi impossible.
Pour une battante comme Gertrude, habituée à réussir à la force du poignet, la situation est incompréhensible.
Insupportable.
L’angoisse de la page blanche : un tabou dont tous pâtissent
L’écrit occupe une place centrale dans le parcours doctoral.
Et pourtant on n’en parle pas – ou si peu.
On ne l’enseigne pas.
A croire que rédiger une thèse serait une capacité innée.
Tout se passe comme si on vous demandait d’atteindre le sommet sans vous montrer comment y accéder – débrouillez-vous.
Gertrude pensait que son directeur la conseillerait pour la rédaction de la thèse proprement dite.
Alors, elle vit ce manque d’aide comme une défection.
Mais elle ignore une chose essentielle : son directeur de thèse lui-même est désemparé.
Un paradoxe source de malentendus
Certes, sont directeur a rédigé une thèse – mais dans la douleur et le chaos.
S’il a su la diriger sur le plan scientifique, et l’orienter, et la soutenir, il ne sait pas l’aider pour la rédaction.
Car un directeur de thèse n’est pas un professeur de rédaction.
Sa doctorante est censée savoir rédiger une thèse.
Et c’est là où le bât blesse : où Gertrude est-elle censée avoir appris à rédiger une thèse?
Gertrude attend de son DT qu’il lui dise comment faire – or lui attend d’elle qu’elle sache comment faire.
N’y a-t-il pas un paradoxe?
Ecrivez, écrivez, ça finira bien par sortir, lui répète-t-il gentiment.
Elle ne sait pas qu’il aimerait bien l’aider, mais qu’il ne sait pas comment.
Elle ne sait pas que lui aussi souffre quand il s’agit de rédiger ses articles.
Qu’il a des maux d’estomac atroces quand il doit rédiger.
Qu’il aimerait bien qu’on lui dise par où commencer.
Comment structurer ses idées.
Comment faire taire ce critique intérieur qui le tétanise.
Bref, son directeur de thèse ne lui a jamais dit que rédiger un texte sur un sujet complexe est une gageure.
Car lui aussi, tout HDR et directeur de thèse qu’il est, pâtit du tabou dont est frappé l’écrit à l’université.
Comment avouer à ses collègues qu’il est bloqué face à son écran vide ?
Qu’il n’en dort pas la nuit ?
Qu’il efface cent fois ce qu’il écrit ?
Que l’angoisse de la page blanche lui pourrit la vie ?
Enfonçons une porte ouverte : savoir rédiger une thèse n’est pas inné
Alors qu’il est évident qu’un étudiant en art plastique suive des cours de sculpture, sculpte encore et encore, apprenne de ses erreurs, il est presque mal vu de voir un étudiant, a fortiori un doctorant, prendre des cours d’écriture.
Nos doctorants savent écrire, Madame ! m’a-ton souvent répondu sur un ton indigné lorsque je proposais mes ateliers d’écriture à des formations doctorales.
Bien sûr qu’ils savent écrire, mais rédiger une thèse requiert un petit peu plus de compétences – non ?
A croire que les compétences rédactionnelles sont innées – à moins que l’on ne considère que les quelques dissertations faites au lycée suffisent à savoir rédiger une thèse.
Le problème de l’écriture, c’est que chacun bricole comme il peut, apprend sur le tas à force de tâtonnements.
Mon angoisse de la page blanche à moi
J’étais confrontée à une incapacité d’écrire pendant plusieurs mois quand j’ai voulu commencer à rédiger ma thèse.
C’est au détour d’une lettre que m’écrivait mon directeur que s’est fait le déclic.
Excusez-moi d’avoir tant tardé à vous écrire. Je travaillais sur un livre et j’étais confronté aux joies et aux douleurs de l’écriture, m’écrivait-il.
Mon DT, confronté aux douleurs de l’écriture? Lui qui écrit si bien? Qui a publié tant de livres?
Cette phrase m’a amenée à enquêter auprès de moi.
Et c’est là que j’ai découvert qu’au moment d’écrire, tout le monde souffre.
Même les auteurs les plus chevronnés.
Alors j’ai compris que mon problème avait un nom : angoisse de la page blanche.
J’ai appris que l’angoisse de la page blanche est normale : elle fait partie du processus de la rédaction.
J’ai aussi découvert qu’il y avait des ateliers d’écriture scientifique à la Technische Universität de Berlin, que je fréquentais à l’époque.
J’y ai découvert des techniques d’écriture, des stratégies efficaces – et les erreurs à éviter.
J’ai aussi compris que mieux on prépare la rédaction en amont, plus aisée elle sera – le contraire est vrai aussi : moins on prépare la rédaction en amont, plus elle sera chaotique et douloureuse.
Que l’on me donne six heures pour couper un arbre, j’en passerai quatre à préparer ma hache.
Abraham Lincoln
C’est grâce à elles que j’ai pu finir ma thèse rapidement – et sans plus connaître de blocage.
A la suite de cet atelier à la T.U., je me suis demandé ce que me demandent les participants à la fin de mes propres ateliers d’écriture : mais pourquoi ne m’a-t-on jamais enseigné tout ça à la fac ?
Je cherche toujours la réponse.
L’angoisse de la page blanche – et si on en parlait?
L’angoisse de la page blanche fait partie du doctorat – comme la direction de thèse, le manuscrit et la soutenance.
Elle est tabou? Brisons-le!
Le meilleur moyen de briser un tabou? En parler !
Vous pâtissez de l’angoisse de la page blanche ?
Parlez-en autour de vous ! Vous verrez que d’autres autour de vous savent bien de quoi vous parlez, et que ce phénomène est tout à fait normal.
Vous croyez que parler de vos difficultés est une preuve d’incompétence ?
Mais alors, comment voulez-vous progresser ?
C’est en identifiant vos difficultés, en les nommant, que vous pourrez trouver des solutions – pas en les cachant.
C’est en parlant de vos difficultés que vous trouverez des personnes en mesure de vous donner des solutions – à quoi bon vouloir réinventer la roue dans votre coin?
Vous croyez que ce qui sort sous votre plume (ou votre clavier) devrait être parfait d’emblée ?
Erreur! Les idées viennent rarement toutes faites, toutes prêtes, structurées et limpides.
Une idée a besoin de temps et d’espace pour se construire. Rendez-la visible pour pouvoir travailler dessus, c’est la première des choses à faire.
Soyez bien conscient que la rédaction est un processus – vouloir faire toutes les phases en même temps, ou les aborder dans le désordre, provoque immanquablement des blocages et l’angoisse de la page blanche.
Demandez qu’on vous montre comment faire
Mais surtout, prenez le temps de bien préparer votre texte en amont : écrire, écrire, écrire, dans l’espoir que « ça sorte », c’est perdre beaucoup de temps pour, souvent, un résultat bien maigre.
Autant dire à quelqu’un qui ne sait pas nager : barbotez, barbotez, vous finirez bien par apprendre à nager.
Ne vaut-il pas mieux lui montrer comment faire pour se déplacer dans l’eau par des mouvements appropriés ?
P.S. : Vous vous préparez à rédiger votre thèse ? Rejoignez ma formation Du chaos des idées à la thèse réussie !