Quand on écrit sa thèse, bon nombre d’écueils sont dus à des oublis : on a tellement le nez dans le guidon qu’on oublie de mentionner l’essentiel. D’autres résultent d’un manque de méthode ou de clarté. Cet article vous présente les pièges à éviter et les bonnes pratiques à adopter.
Il faut toujours garder à l’esprit que votre thèse est destinée à être lue par un être humain. C’est-à-dire, quelqu’un qui ne connaît pas votre sujet aussi bien que vous, quelqu’un qui ne sait pas les connexions que vous faites. Quelqu’un, aussi, qui est pressé et souvent distrait, car ayant beaucoup de choses en tête. Il faut donc veiller à être aussi clair que possible.
Un certain nombre d’écueils peuvent facilement être évités pour peu qu’on les connaisse. En voici dix-sept.
Manquer de clarté dans l’énoncé de la problématique
La problématique montre l’intérêt de votre travail. Car ce qui va éveiller la curiosité, c’est le fait qu’il est confronté au même problème ou à un problème similaire. La problématique présente le problème de départ et la grande question qui en découle. Cette problématique est souvent difficile à poser. Soit parce que le problème de départ n’est pas clair, soit parce qu’il est confondu avec l’objectif. Parfois aussi, il est trop large. Ou encore, il est découpé en petits problèmes dont on peine à voir le lien.
Oublier de poser le cadre quand on écrit sa thèse
Parfois, quand on écrit sa thèse, on oublie de définir le cadre de l’étude. Le fait de l’écrire permet de mieux s’en souvenir. Car, si le sujet n’est pas suffisamment circonscrit, on risque, en écrivant, de se perdre et de faire du hors sujet. Et pour le lecteur, un sujet qui n’est pas clairement délimité – et ce dès le début, idéalement dès le titre – peut éveiller des attentes qui ne manqueront pas d’être déçues. Or rien n’est pire qu’un lecteur déçu, surtout quand il doit juger de votre travail.
Confondre plan et liste
Le plan d’un texte n’est pas une liste. Or on voit trop de plans conçus sous forme de liste : la logique interne du texte n’est pas visible. On ne voit pas l’objectif poursuivi.
Le plan d’une thèse pose les étapes qui vont permettre de le rédiger en suivant un certain chemin – le vôtre. Autrement dit, le plan montre comment passer du point A au point B, puis du point B au point C – et ainsi de suite. Sachant que ce chemin conduit à une destination : l’objectif de votre thèse.
D’où l’intérêt de définir cet objectif avant de faire votre plan. Quand l’objectif est clair, la confection du plan est aisée – plus aisée en tous cas que quand l’objectif est confus ou inexistant.
Confondre revue de littérature et patchwork de citations
L’intérêt de la revue de littérature, c’est de montrer la nécessité de votre travail au regard de ce qui a été fait avant vous. Ce but préside à la logique de votre revue. Et c’est en organisant les idées dans la littérature que vous allez pouvoir atteindre votre but. Pas en juxtaposant des références, pas non plus en copiant-collant des citations. La revue de littérature, bien construite, est un magnifique tremplin vers votre propre travail. Elle en annonce l’originalité, la nécessité – et montre votre positionnement.
Oublier de commenter les citations quand on écrit sa thèse
Citer d’autres auteurs dans une thèse est indispensable. Encore faut-il exploiter ces citations. Trop de thèses contiennent des collages de citations – au lecteur de se débrouiller avec. C’est contreproductif. Car ce qu’on voit, c’est que l’auteur a beaucoup lu, certes. Mais qu’il ne sait pas quoi faire de ses lectures. Ce qui n’est généralement pas le cas. Rappelez-vous que l’expert, c’est vous : vous avez fait des découvertes ; vos lectures vous ont apporté un certain éclairage pour les comprendre, les interroger, les interpréter. Bref, la littérature vous a aidé à construire cette expertise. Expliquez donc ce lien entre la littérature et vos observations, vos découvertes, vos questionnements.
Ne vous contentez pas d’écrire que X a dit que « … » . Expliquez ce que X a voulu dire, et en quoi son idée concerne votre propre travail. N’imitez pas non plus cet auteur qui colle citations sans lien avec le texte, au point qu’on se demande s’il les comprend lorsqu’il écrit sa thèse.
Oublier de préciser l’origine de ses données
Certains auteurs oublient de dire où, quand, comment ils ont récolté leurs données. Or, lorsqu’on écrit une thèse, ou un article, il faut indiquer clairement d’où proviennent ces données. Si vous avez collecté les données vous-même, il faut les joindre à votre thèse. Si vous vous référez à une statistique, sa source doit être mentionnée afin que les références puissent être retracés.
En l’absence de preuves claires sur les données originales, comment rendre crédible l’argumentation qui se base sur elles ?
Oublier de définir les termes clés quand on écrit sa thèse
Il y a des termes qu’on utilise quotidiennement – et on oublie que les lecteurs, eux, ne savent pas ce qu’il veut dire. Et donc, quand on écrit sa thèse, on oublie de les définir ou au moins de les expliquer. Résultat : le texte est incompréhensible. En fonction de votre lectorat, il y aura des termes à définir absolument, d’autres dont vous pouvez imaginer la signification connue.
En tous les cas, si vous créez vous-même un terme, ou si vous changez la signification d’un terme, il est indispensable de l’expliquer ou de le définir. Mettre des guillemets comme ça se pratique souvent ne sert à rien : personne d’autre que vous ne peut savoir ce que vous sous-entendez par le terme mis entre guillemets.
Par exemple : je vais vous parler de « liberté ». Si je ne vous en dis pas plus, comment saurez-vous la différence que je fais entre liberté et « liberté » ?
Définir les termes au mauvais endroit
Un autre écueil commun consiste dans les thèses à définir le terme qu’on a commencé à utiliser dix pages plus tôt. Typiquement, je parle de carythune plusieurs fois, mais ne la définis qu’à la cinquième acception. Ce qui va d’abord soulager mon lecteur, qui sait enfin de quoi je parle. Et ce qui va l’obliger à relire le texte depuis la première acception de carythune, puisqu’il a maintenant la clé pour le comprendre.
N’infligez pas de tels allers-retours aux gens qui vous lisent. Ce sont des gens comme vous : des gens pressés. Devoir revenir en arrière parce que le texte est mal structuré est non seulement chronophage, mais énervant. Il est indispensable de penser à son lecteur quand on écrit sa thèse.
Ecrire sa thèse sans structurer ses idées
Au moment d’écrire une thèse, généralement, c’est le chaos : on a tellement de connaissances, tellement d’idées, qu’on ne sait pas par où commencer. On a du mal à les trier. On a du mal à les regrouper. On a du mal à savoir dans quel ordre les présenter. C’est normal. Cependant, pour pouvoir écrire un texte compréhensible, pour savoir où on va, pour ne pas se perdre soi-même dans la rédaction, il faut une structure.
Il faut savoir comment passer de A à B. Il existe souvent plusieurs voies possibles. Il faut donc faire des choix. C’est un travail qui prend souvent longtemps, mais une fois que la structure est claire, alors la rédaction est fluide.
Et les personnes qui vous liront se réjouiront d’avoir des repères clairs grâce auxquels ils avanceront rapidement dans leur lecture.
Ne pas avoir de fil directeur quand on écrit sa thèse
Un texte a un début, une fin, et ces deux extrémités sont reliées par un fil directeur. Ce fil directeur, qu’on appelle encore le fil rouge, l’idée principale, est ce qui aide le lecteur à se repérer dans le texte. Mais il est surtout ce qui vous aide à vérifier la cohérence de votre propos.
Véritable fil d’Ariane, le fil directeur vous évite le hors sujet, et vous montre que vous avancez toujours dans la bonne direction. Sans fil directeur, le texte devient vite chaotique – et donc difficile à écrire.
Ecrire sa thèse dans un langage obscur
Ah, ce langage sophistiqué et abscons que certains auteurs cultivent jusqu’à vous donner l’impression d’être trop bête pour les comprendre ! Ne le reproduisez pas ! Il est tellement plus facile de compliquer ce qui est simple que de rendre compréhensible ce qui est complexe ! L’explication mon sujet est complexe, donc mes phrases sont difficiles à comprendre n’est pas acceptable. Elle montre surtout que l’auteur a du mal à comprendre ce dont il parle.
Si le sujet est complexe – quel sujet de thèse ne l’est pas ? – il faut a fortiori faire un effort de pédagogie. Car si le texte est incompréhensible, à quoi bon l’écrire ? Encore une fois : écrire une thèse vise à partager votre travail avec d’autres. Autant le rendre accessible à votre lectorat cible – non ?
Mal écrire est à la portée de tous. Sortez du lot en rédigeant un texte qui soit clair et agréable à lire!
Ne pas prendre position
Ecrire une thèse, c’est aussi défendre une thèse. Vous obtiendrez votre titre de docteur lorsque vous aurez soutenu votre thèse. Défendre, soutenir : autant de termes qui impliquent une prise de position. Or beaucoup de gens refusent de prendre position, soit parce qu’ils on « peur qu’on leur tombe dessus », comme je l’entends dire souvent. Ou bien parce qu’ils ne connaissent pas les discours dans leur communauté scientifique – or prendre position, c’est toujours prendre position par rapport à d’autres. Ou bien aussi, parce qu’ils ne voient pas leur propre position – c’est la peur d’enfoncer des portes ouvertes.
Vous avez un avis sur votre sujet. Cet avis ne vous est pas tombé du ciel un matin au réveil. Il est fondé, vous pouvez le justifier, vous avez accumulé des preuves. Alors, prenez votre courage à deux mains, et montrez quelle est votre position. Plus vous le ferez tôt dans votre thèse, et plus vous trouverez les arguments qui la justifieront et la conforteront.
Dissimuler l’originalité du travail effectué
Certaines thèses ressemblent à une liste à la Prévert, ou à un patchwork de citations. On voit que la personne a beaucoup lu – mais on ne voit pas ce qu’elle a fait de ses lectures : ce qu’elle en a appris, comment elle a interprété les textes, les conclusions qu’elle en tire, les liens qu’elle fait entre la littérature et son propre travail.
Ce qui fait l’intérêt de votre thèse, c’est ce que vous avez à dire sur le sujet. Car vous avez quelque chose à dire. Il y a forcément quelque chose d’original, des pépites, dans votre travail. Le problème, c’est que, souvent, ces pépites vous échappent : soit que vous ayez tellement le nez dans le guidon, que vous ne les voyez pas. Soit que vous les voyez depuis tellement longtemps que vous avez l’impression qu’elles sont d’une banalité à pleurer. C’est ici que vous rappeler – ou prendre conscience – de votre positionnement peut vous aider. Inversement, prendre conscience de ce qui fait l’originalité de votre travail vous aidera à vous positionner.
D’où l’intérêt de faire une revue de littérature.
Ecrire une thèse sans effort pédagogique
Une thèse de doctorat n’est pas un examen de connaissances. Elle vise à raconter ce que vous avez réalisé. Vos lecteurs veulent aussi apprendre quelque chose de vous. Il faut donc faire preuve d’esprit pédagogique. Prenez votre lecteur par ma main. Soyez transparent dans votre démarche. Pensez à expliquer ce que votre lectorat ne connaît pas.
Pensez à récapituler les points essentiels de temps en temps. Rappelez-vous que tout le monde ne voit pas les liens que vous faites, aussi explicitez-les. Et surtout, montrez bien votre fil directeur : c’est à lui que votre lecteur va s’agripper pour vous suivre.
Ne pas argumenter
Lorsqu’on écrit une thèse, on ne peut pas se limiter à affirmer des vérités sans les justifier. Sinon, le texte ressemble vite à un pamphlet. Or une thèse de doctorant n’est pas un pamphlet. Vous avez bien sûr le droit de défendre une idée, de défendre une thèse – mais pour que ce que vous défendez soit convaincant, il faut que vous en démontriez la validité : quels arguments vont dans votre sens ? Quels arguments contraires pourraient vous être opposés ? Qu’y répondriez-vous ?
Savoir montrer que vous savez considérer la partie adverse, remettre en question votre point de vue, pour ensuite mieux le défendre, voilà à quoi va vous servir une argumentation. Autrement dit : dans une argumentation, vous acceptez de voir votre position malmenée pour pouvoir l’affirmer ensuite avec plus de force.
Attention, une citation n’est pas un argument, un exemple non plus. Si vous mobilisez des citations, ou des exemples, c’est pour renforcer, illustrer, nuancer un argument – mais jamais pour le remplacer.
Plagier – et son contraire
Le plagiat est le vol de la propriété intellectuelle d’autrui. Sont considérés comme plagiat les passages de texte non référencés, tout comme l’utilisation d’images sans référence à la source ou une combinaison des deux. Cela vaut aussi pour le vol d’idées, plus difficile à prouver. Le plagiat est âprement puni – et pourtant, il n’est pas rare qu’on fasse du plagiat sans s’en apercevoir. On a pris des notes de lecture de manière rapide, on a oublié de noter que telle phrase venait d’untel. Pour peu que la prise de notes mélange citations et commentaires personnels, il arrive qu’on prenne une citation pour une idée personnelle. On écrit l’idée en toute bonne fois, s’en attribuant la maternité – et voilà, on est accusé de plagiat. D’où l’intérêt de structurer ses notes de lecture.
La peur du plagiat est telle, que certains, quand ils écrivent leurs thèses, font le contraire du plagiat : ils attribuent leurs propres travaux à des auteurs qu’ils citent. Soit par manque de certitude – si X l’a dit aussi, au moins on ne me tombera pas dessus – soit par inattention : le texte est écrit de telle façon qu’il laisse croire que l’auteur de la thèse n’est pas à l’origine d’une idée, d’une expérience données, mais un auteur X cité auparavant.
S’éclipser avant la fin
Beaucoup d’auteurs, lorsqu’ils écrivent leurs thèses oublient de conclure. S’il y a plusieurs raisons à cet écueil, j’en retiendrai trois ici :
- Certains auteurs pensent que la thèse qu’ils ont écrite est si claire, que les conclusions s’imposent d’elles-mêmes et qu’il est donc inutile de les expliciter. C’est une mauvaise idée : chaque lecteur aura sa propre interprétation des choses. Ne pas conclure, c’est ouvrir la porte aux malentendus.
- Beaucoup ne tirent pas de conclusions parce qu’ils arrivent en fin de rédaction exténués. Ils ne veulent qu’une chose : se débarrasser de leur manuscrit. Or un travail de conclusion suppose une capacité de réflexion et de prise de recul impossibles quand on est exténué. D’où l’intérêt de se ménager tout au long de la rédaction : s’aménager des moments de repos, faire des pauses, dormir, bouger et s’alimenter correctement : une thèse ne s’écrit pas qu’avec la tête. Elle s’écrit avec tout le corps.
- Certains préfèrent ne pas tirer de conclusion car la conclusion, c’est le moment où on prend position. Ce faisant, on prend des risques. Et beaucoup ont peur de se montrer, de risquer une idée personnelle quand ils écrivent leurs thèses. Alors ils s’éclipsent avant la fin. N’achèvent pas leur travail.
Vous avez sans doute déjà lu un texte et, à la fin, vous vous êtes demandé : et alors ? C’est signe que la conclusion manque. Que votre auteur n’a pas fini son travail. Ne laissez jamais votre lecteur seul avec la question et alors ? Répondez-y !
Conclusion et derniers conseils pour réussir votre thèse
En conclusion, je voudrais vous rappeler que la clarté, la rigueur et la transparence sont les piliers fondamentaux de tout travail de recherche. Mais à côté de l’intégrité intellectuelle, il y a aussi Vous avez fait un travail original, parfois vos découvertes vont à l’encontre du main stream. Certes, aller à l’encontre des croyances et opinions demande du courage. Mais c’est aussi ce qui fait l’intérêt de la recherche. La science n’avancerait pas si on se contentait de nager avec le courant. Toute nouveauté suscite la résistance. J’aime beaucoup la manière dont Schopenhauer exprime la chose :
Aussi je vous souhaite le courage d’assumer la nouveauté, l’originalité de votre thèse. Plus vous en aurez conscience, plus aisément vous trouverez les arguments qui la conforteront. Et vous verrez que ce courage boostera votre rédaction et votre confiance en vous-même.
Vous avez fait une recherche de qualité. Mettez-la en valeur dans un texte de qualité !