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Le journal de bord : un outil indispensable pour réussir sa thèse

Cet article vous propose des pistes pour comprendre les phénomènes à l’œuvre lors de la rédaction, ainsi qu’un outil indispensable pour mener à bien une thèse : le journal de bord.

L’erreur typique du chercheur débutant : ne jamais écrire

J’ai commencé à comprendre mon sujet vers la fin de mon mémoire de master. Mon texte ressemblait à un brouillon. J’aurais dû le réécrire, mais je n’en avais pas le courage. Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’avais fait mes recherches sérieusement. Je ne veux pas revivre ça en thèse,  racontait Gédéon en s’inscrivant à ma formation.

Lorsque je lui demandais quand il avait écrit pour la première fois, il répondit, surpris : quand j’ai commencé à rédiger mon mémoire!

L’erreur typique de nombreux étudiants – et de beaucoup de doctorants – est de ne jamais écrire pendant leurs années de recherche – au plus quelques mots clés ici ou là. Or, une recherche intellectuelle ne peut se passer de l’écrit. Car c’est quand on écrit que les idées vont être triées, structurées, développées – la preuve : Gédéon finit par comprendre son sujet à force d’écrire.

L’erreur de Gédéon, c’est d’avoir commencé trop tard à écrire; il a voulu écrire d’emblée pour un lecteur alors qu’il n’avait pas mis au clair, pour lui, ce dont il voulait parler. Or, avant d’écrire pour un lecteur (en ce qu’on appelle le langage externe), il faut en passer par une phase indispensable : la phase du langage interne.

Très schématiquement, le langage interne est le moment où vous explorez votre sujet :

©BillionPhotos.com
  • vous pratiquez un dialogue intérieur;
  • vous utilisez peut-être des mots inventés ou un mélange de langues;
  • comme vous pensez vite, vous sautez d’un sujet à l’autre, sans avoir le temps de toujours finir vos phrases – à quoi bon? Vous vous comprenez;
  • vous êtes animé de sentiments, parfois très forts (amour pour tel auteur, fascination pour tel thème, colère face à un autre, par exemple).
  • parfois, vous avez en une fraction de seconde une révélation, l’intuition très claire d’un processus ou d’un tissu de relations. Vous n’avez pas de mots pour dire ou expliquer ce que vous avez capté soudain, mais vous n’en avez pas besoin, car votre pensée l’a intégré et vous l’exploitez sans mots;
  • parfois aussi, vous pensez en images (vous voyez nettement la « chose » – mais vous n’avez pas de mots pour la décrire.)

Le langage interne est une phase primordiale pour élaborer une pensée et explorer un sujet. En faire l’impasse est impossible : le cerveau ne pense pas immédiatement de manière claire et structurée des sujets aussi complexes que des sujets de thèse.

Ce n’est que lorsque vous maîtrisez votre sujet que vous pouvez passer au langage externe :

  • le langage externe, quant à lui, s’adresse à un tiers, lecteur ou auditeur : ce que vous pensez est accessible à votre public;
  • les idées sont exprimées dans des phrases structurées, s’agençant dans une suite logique;
  • les termes utilisés sont précis;
  • les images, métaphores, émotions sont traduits en termes rationnels et compréhensibles pour votre public.

Or, comment s’exprimer en langage externe quand on a les idées confuses? Comment trouver des mots précis pour exprimer des choses qui sont encore peu claires? Comment structurer des idées quand elles constituent encore une masse informe?

Gédéon avait pour ambition d’écrire tout de suite en langage externe, alors que, visiblement, ses idées n’avaient pas encore été travaillées en langage interne. Aussi, il écrivait dans un entre-deux, cherchant à s’exprimer en langage externe, s’interdisant d’écrire comme ça vient en langage interne.

Qu’en conclure? Qu’il faut que vous preniez tout le temps nécessaire pour clarifier vos idées en langage interne avant de passer au langage externe – sinon, vous risquez de vivre l’expérience de Gédéon lorsque vous rédigerez votre thèse. Or, quoi de plus frustrant qu’un texte médiocre qui échoue à exprimer la qualité de la recherche effectuée ?

Attention : n’en déduisez pas qu’il faudra rédiger toute votre thèse en langage interne pour ensuite la réécrire en langage externe! Ce serait trop laborieux. En outre,  au moment où vous commencez à rédiger votre thèse, vous devriez avoir déjà une bonne compréhension de votre sujet. N’attendez pas le moment où vous devrez rédiger pour découvrir votre sujet par écrit.

Un espace physique pour le langage interne : le journal de bord

©Sensay

Une pensée s’élabore petit à petit, elle ne jaillit pas en une nuit. Elle se construit, elle est faite de tentatives, plus ou moins fructueuses, de bonds en avant, elle se perd pour se retrouver ensuite. Peu à peu, elle s’élabore, se construit. Tout auteur digne de ce nom aura, avant de produire un texte de qualité, rempli beaucoup de pages de brouillon.

Ce travail de pensée ne devrait pas commencer à s’élaborer dans la rédaction de la thèse, mais en amont. La réflexion en langage interne par écrit commence bien avant la rédaction du manuscrit de thèse proprement dit. Et l’outil indispensable pour l’accueilir est le journal de bord.

Qu’est-ce qu’un journal de bord? Un cahier, de format A4 ou A5 – évitez les formats plus petits, vous ne serez pas motivé à écrire de longs textes. Or il faut parfois en passer par de nombreuses phrases superflues, compliquées, pour produire une idée de valeur.

©Gilles Paire

Car, tout comme la paillette d’or, une pensée de valeur est rarement là toute prête offerte au regard. Il faut filtrer, nettoyer, supprimer du superflu pour voir enfin briller le métal – pour voir, enfin, briller l’idée.

Ne vous contentez pas d’écrire des mots-clé : ce peut être utile comme aide-mémoire; mais une idée est bien plus que quelques mots clés, une idée résulte de l’interaction entre mots clés.

Choisissez un cahier plutôt que des feuilles volantes (qui, comme leur nom l’indique, volent et risquent de se perdre). Vous pouvez le diviser en rubriques ou tout y noter pêle-mêle. ne cherchez pas à vous imposer une structure si elle ne convient pas à votre manière d’être. Je rencontre parfois des doctorants chaotiques qui veulent tenir un journal de bord propre, avec des rubriques, des titres, des sous-titres…

Ils y parviennent trois jours, et puis abandonnent, parce que cette manière de travailler ne leur correspond pas. Si vous êtes chaotique, acceptez d’avoir un journal de bord chaotique. Ce qui est important, c’est que ce chaos puisse s’exprimer quelque part – et il vaut mieux qu’il s’exprime dans le journal de bord que dans le manuscrit de thèse.

Faites des schémas, des dessins, n’hésitez pas à user de symboles et d’images. Usez de couleurs différentes, au hasard : ainsi, si vous recherchez une phrase que vous aurez écrite en orange, soyez sûr que votre mémoire l’aura noté. Vous concentrerez ainsi votre recherche sur les phrases en orange au lieu de devoir tout survoler.

Bref, ne vous bridez pas, laissez toute amplitude à votre imagination.

Pensez à noter la date chaque fois que vous écrivez. D’abord pour vous aider à retrouver une idée notée. Ensuite parce qu’il est intéressant de constater l’évolution de votre pensée, les progrès réalisés, de les mesurer au temps qui passe : les idées prennent forme, l’expression écrite s’améliore, le style se forge peu à peu.

Pourquoi le papier plutôt que l’ordinateur?  D’abord, parce que l’ordinateur fatigue les yeux plus que le papier – or la fatigue oculaire peut faire obstacle à la créativité.

Ensuite, parce que l’ordinateur a une apparence parfaite qui incite à produire des idées (en apparence du moins) parfaites. Il inhibe plutôt des idées brouillonnes et chaotiques. Au lieu de se concentrer sur le fond, on se concentre sur la forme : on va remplacer un mot par un synonyme plus précis, on va reformuler sa phrase mille fois – or au stade du lange interne, c’est inutile et improductif.

Et puis l’ordinateur recèle d’infinies sources de distraction : sans parler d’Internet et des courriels, il contient tous vos documents, et la tentation est grande de lancer une recherche pour compléter une idée, vérifier un chiffre etc.

Si vous tenez à tenir un journal de bord sur votre ordinateur, trois conseils :

  • coupez toutes les sources de distraction potentielles (Internet, messagerie, accès aux dossiers)
  • éteignez votre correcteur d’orthographe
  • écrivez blanc sur blanc : ne voyant pas ce que vous écrivez, vous ne serez pas tenté de vous relire et de vous corriger. Ne changez la couleur de la police qu’une fois que vous aurez fini d’écrire.

Si vous êtes indécis, testez l’outil qui vous convient le mieux  – et tenez-vous-y. Evitez de multiplier les outils, vous risquez la dispersion –  et la démotivation qui en résulte.

Votre journal de bord est votre compagnon de route. Gardez-le toujours auprès de vous. Vous avez sans doute remarqué que les idées ne viennent pas forcément lorsque vous êtes assis face à votre ordinateur, mais quand vous êtes détendu – au cours d’une discussion dans un café, en marchant, en attendant le sommeil ou en plein sommeil. Or les idées sont fugaces : si vous ne les attrapez pas au vol, vous risquez de les voir disparaître aussi vite qu’elles étaient venues. Le journal de bord permet de fixer toutes les idées qui vous viennent à l’esprit.

Peut-être avez-vous déjà commencé un journal de bord, et puis vous l’avez abandonné. Qu’à cela ne tienne. Reprenez-le et continuez à y écrire. Vous serez peut-être amené à y écrire frénétiquement à certaines périodes, et à ne rien noter à d’autres.

Que pouvez-vous écrire dans votre journal de bord? Vous pouvez y noter par exemple

  • Des questions, des points obscurs et les réflexions qu’ils vous inspirent
  • Les problèmes rencontrés pendant le processus d’écriture
  • Des idées saisies au vol
  • Des observations, des informations, des citations qui vous inspirent – et ce qu’elles vous inspirent
  • Des esquisses de plan
  • Des projets de titres
  • Les résultats de vos entretiens avec vos directeurs
  • Des bilans hebdomadaires (Qu’ai-je trouvé? Que me reste-t-il à chercher? Qu’est-ce que je veux faire la semaine prochaine?)

N’hésitez pas à y écrire aussi des évènements ou des incidents de votre vie quotidienne : ce qui vous arrive dans la vie hors laboratoire a une influence sur votre pensée, sur votre manière de voir les choses – que vous en soyez conscient, ou pas. Le fait de noter ce qui vous arrive peut ouvrir sur des idées riches de sens.

Quels sont les avantages que comporte la tenue d’un journal de bord?

© Dan Maxwell
  • Vous y écrivez pour vous, sans contrainte
  • Vous écrivez sans la crainte d’un regard critique extérieur : votre journal de bord est personnel, il n’est pas destiné à un tiers.
  • Vous y visualisez vos idées : c’est le premier pas pour les trier et les structurer. Et c’est plus aisé à faire lorsqu’on voit ses idées que si on fait le processus mentalement.
  • Ecrivant vos idées librement, sans utiliser de documents, de citations, vous développez votre propre pensée. Vous élaborez votre propre position au sein du débat scientifique sur votre sujet.
  • Vous vous exercez à écrire et trouvez petit à petit votre propre style.
  • Vous structurez vos idées. Du coup, le jour où vous passerez au langage externe (rédaction de votre thèse ou de vos publications), vos idées seront parvenues à maturité : rédiger sera beaucoup plus aisé que si vous n’avez jamais écrit auparavant.

Ecrire dans votre journal ne suffit pas : relisez-vous de temps en temps. Selon la quantité que vous aurez produite, une fois par semaine, ou une fois par mois, parcourez ce que vous avez écrit; extrayez les idées intéressantes que vous voulez garder ou que vous voulez exploiter.

Je rencontre parfois des doctorants qui attendent la veille de la rédaction de la thèse pour relire leur journal de bord (ou leurs journaux, car en trois ans de recherche, on remplit beaucoup de cahiers) : ils redécouvrent des idées formidables qu’ils avaient oubliées, et n’ont plus le temps de les approfondir, d’où un sentiment de frustration et de gaspillage. Tant d’idées géniales inutilisées!

Tout dans le journal de bord n’est pas intéressant, mais il contient des graines d’idées qu’il faut cultiver assez vite après les avoir semées – sinon, elles périront.

En bref : structurer ses idées est difficile quand on veut passer sans transition du langage interne au langage externe. C’est au contraire chose aisée si on s’en donne le temps – et l’espace.

C’est à vous! Votre journal de bord est un compagnon de route précieux. Alors, que vous ayez commencé votre recherche hier ou que vous soyez à la veille de la rédaction : munissez-vous d’un cahier, nommez-le journal de bord et commencez à y écrire tout ce qui vous vient à l’esprit concernant votre sujet. Et si vous avez abandonné votre journal de bord, ressortez-le et écrivez-y quelques phrases, ne serait-ce que ce que vous inspire cet article.

Bon travail!
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  1. Merci Martha pour vos conseils. J’ai commencé ma thèse il y a moins d’une semaine. bien conscient de la nécessité d’écrire quotidiennement, je manquais néanmoins de compréhension sur la facon d’écrire un journal de bord. En ce sens, votre article est lumineux. Je vous remercie. Excellente journée à vous. I.

  2. Bonjour Martha,
    Je suis actuellement votre formation qui se porte sur la manière dont on doit procéder pour booster nos lectures. Je serai très reconnaissant envers vous dans ma thèse. En vous écrivant ce commentaire, je me dis que c’est un privilège le fait que je sois en première année de thèse. Du coup, je vais pouvoir mobiliser vos conseils afin de réussir le travail.
    Merci encore une fois.

  3. Bonjour MARTHA, je suis heureux de vous relire et vos conseils sur le journal de bord me sont utiles. Ils me renforcent davantage parce que , d’ores et déjà , j’avais des cahiers dans les quels je prenais des notes. Je suis sur de bons chemins. Merci

  4. Bonjour, Martha, j’ai suivi votre formation à Paris-Sud et depuis j’ai un journal de bord. C’est vrai qu’il m’est très utile, je ne m’en sépare plus. Et c’est vrai que quand j’ai un trou, le feuilleter me fait un bien fou! Merci beaucoup pour vos conseil!

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